Aube

Je me suis éveillé à l'aube. 
Aucun bruit. 
Pas même celui du vent ou celui de mon cœur. 
L'atmosphère lourde d'une journée qui commence et que je sais déjà terrible. 
Je me suis endormi sous le bruit du canon, des halètements de mes camarades, des cris de ceux qui meurent seuls, des cris de celui qui se perd dans un sommeil torturé et hanté par les démons du jour éteint. 
Une nuit aurait pu passer ; ce ne sont que quelques minutes que le silence de mon cerveau m'a octroyées. 
Je me réveille hagard. Plus rien de vivant à la ronde. 
J'ai envie de crier mais rien ne sort de ma bouche desséchée. 
Ce corps que je ne sens plus. Ce corps que je ne reconnais plus. Que je regarde avec peine tant il me dégoûte. 
Ce corps dont je voudrais m'échapper pour échapper au monde. 
Tout est pourri de l’odeur de la poudre et du bois moisi, de la terre salie et des vermines pullulantes. 
Suis-je encore ?  
Vivant ? 
Dans ce monde où tout cède, 
Pas plus moi ni dans ce qui m'entoure ne me semble animé du souffle de la vie. 
Fermer les yeux est une torture. Les ouvrir un supplice. 
Que faire pour m'arracher à cette glaise collante qui m'absorbe, m'engloutit ? 
M'extraire de ce magma infâme fabriqué par les hommes ? 
Pourquoi ne pas se fondre dans cette fange épaisse ? 
Le dégoût qu'elle m'inspire me pousse à me mouvoir. 
Bouger à tout prix pour sauver ce qui est. Ce qui est encore. 
Bouger pour tenter de sentir,  
Même l'air irrespirable. 
Peu importe qui croisera mon regard. 
Je ne le verrai pas. 
Comment penser à la vie quand on est là pour tuer ? 
Au loin, on s'affaire déjà. 
Bruit de métal. 
Odeur de soupe claire et de vinasse. 
On prépare la tuerie, on prépare les tortures. 
La fumée, les écrans...balayeront bientôt le pâle soleil qui pointe. 
Je me suis déployé. 
Tant bien que mal. 
Je m'éveille à souffrir. 
Je bouge pour oublier. 
Oublier que je suis. Vivant. Encore. 
Encore un peu. 
Déjà l'envie de vomir revient. 
Vomir mes tripes et mon cerveau. 
Je n'ai plus la force de me battre. 
Je suis en guerre, moi qui ne suis que paix.
© Eric Benoit