La nuit vient. Elle fait apparaitre les feux embrasés par les hommes sur leurs villes. Je ne suis pas plus grand ici, en plein ciel, qu'au milieu de la Médina. 
Ses parfums de kefta, de brochettes grillées, de crêpes sucrées, de miel et d'amandes. L'odeur âcre du sang frais des poulets, des abats, au petit matin lorsqu'à peine réveillé, je traverse quelques rues familières déjà... Talâa Sghira, Talâa Al-Kbira... 
Ça monte et ça descend. Je ne suis rien au milieu de ce fourmillement mais je suis tout à la fois, eux, les parfums, les odeurs, la lumière... 
L'odeur nauséabonde des peaux de mouton, de chèvre, des crottes de chats et de pisse me ramènent l'idée de la réincarnation... Frémissant de crainte dans ma peau de nouveau Fassi ! 
Bousculé dans la foule, harangué par les rabatteurs, bousculé dans mes sens désorientés, je chemine au gré des hauts murs élevés, surélevés, redressés, consolidés, retenus... 
Mes pas me portent vers des issues toujours nouvelles, des échoppes plus incongrues les unes que les autres ; des poissons surveillés de près par les mouches jusqu'à la nonchalance du vendeur gracieusement allongé au milieu des tripes de son étal. 
Chaque pas réveille un sens, attise une curiosité, amuse, attriste, révulse parfois... 
Je me baigne nonchalamment dans cette atmosphère de poussière, de soleil, de vie et de mort. 
Fès est tout à la fois. Un microcosme de ce qui peut exister, un bâillement ou un coup de butoir, un bouillonnement et une invitation à la sieste. 
Courir dans le sable des collines environnantes, la poussière de la Médina ou s'allonger longuement sur les zelliges de la maison bleue. 
Comble de l'apparence et du démonstratif dans un pays où l'on cache la beauté de certaines femmes derrière Niqab et Burqa. Comme j'aurais voulu découvrir ce que révélaient ces yeux soulignés de khôl, seul attribut visible et rayonnant d'un visage chargé de promesses, d'un être de chair si jeune. 
Mais quand Fès cache, il cache bien. Même à celui que la curiosité pousse à la découverte... Derrière les sourires visibles, jamais on ne sait ce qu'il y a vraiment, tantôt convenus ou poussés par un besoin exclusif de commerce, parfois emprunts d'une sincérité dont les rapports humains des autochtones entre eux me font douter. 
Un autre sens se développe ici. Poussant, non à la méfiance, mais à une distance utile et raisonnable, imposant un respect mutuel. 
Se faire respecter sans jamais mépriser. 
Fès s'offre à qui lui apporte quelque chose aussi. Échange de bons procédés ! 
Lui apporter un peu de son temps, vrai, non crispé, non contracté, loin des circuits touristiques faciles et empressés autant qu'inutiles faisant galoper d'une medersa à un musée avec passage obligé dans la boutique complice... 
Et contre ce temps, Fès vous rend... tout. Ses parfums, sa pierre et ses odeurs, ses gens, tout ce qui vit, sa richesse et son dénuement.

© Eric Benoit