7 coups pour minuit 
 
Tu t'es en allée. 
 
Enfin, pas vraiment. Pas encore. 
Je veille mais je ne suis pas seul. 
Tu es là. 
 
Fidèle ennemie ? 
Gardienne de mon temple intérieur ? 
Sournoise intruse d'une vie que je ne voudrais pas partager avec toi ? 
Discrète ingénue de mes méninges embrouillées ? 
Invitée mystère de mes folles nuits d’insomnie ? 
Diablotin extrait de sa boite de pandore incomprise ? 
 
Peu avant minuit, tu es arrivée à l'improviste. 
Mi-Nuit, quand la mienne n'avait pas commencé ! 
à l'improviste : pas tout à fait. 
De très loin, tu fis un signe familier. 
Connu, reconnu parmi tous. 
 
Obstiné, je me suis leurré de l'incrédulité, 
Du fol espoir que tu fus autre. 
J'ai temporisé, regardé ailleurs, 
Soufflé pour mieux ne pas y voir... 
Nié la vie, 
Car tu en es aussi. 
 
 
Mais c'était bien toi. 
Face à moi tu t'es imposée. 
Tu n'as pas eu à forcer la porte grande ouverte. 
Je préfère qu'il en soit ainsi. 
Si je me barricade, c'est au meilleur que je me ferme ! 
Ce serait une victoire magnifique pour toi, 
Négation de la Vie. 
 
Alors je t'accueille. 
Avec quelque retenue bien sûr. 
Avec quelque crainte que tu ne sois plus mal élevée et violente encore. 
 
« Rentre donc, puisque tu es là !» 
« Tu ne t'attendais pas à ça ! » 
 
Je te vois quelque peu décontenancée. 
Mais il t'en faut davantage pour te troubler; encore moins renoncer… 
 
Alors tu t'installes. 
Tu es chez toi. 
Tu prends tes aises lorsque je me contracte. 
 
Tu es bien, lorsque je ne le suis plus... 
Tu entames ta danse insensée, 
Lancinante, percutante, traversante et pointue. 
 
Tu te balades et je me tétanise, 
Incapable du moindre mouvement. 
Je me tortille comme un lombric sur un hameçon 
Et tu ris, 
Je le sais. 
Mais je t'écoute, 
J'écoute tes transes et tes mots indicibles, 
Tes ondes et paroles sans son. 
 
Je suis prêt à parlementer. 
 
Quand tu daignes m'octroyer un répit, 
Je me laisse guider par les images violentes 
De mon pauvre corps soumis. 
Sismologue à l'écoute, 
Sur mon échelle de Richter, 
J'enregistre chaque soubresaut, 
Pour ne rien subir. 
 
Subir c'est sombrer. 
Subir c'est l'inutile souffrance du corps, 
Effondré que je ne comprenne goutte. 
 
Alors je me soumets, 
J'encaisse. 
Chaque coup de semonce comme une nouvelle syllabe. 
L'alphabet des douleurs m'enseigne lui aussi. 
 
L'accalmie de tes quelques absences 
Accroche même un sourire à mes lèvres crispées, 
à mes cordes geignantes. 
Je goûte ces instants sans crainte de l'avenir, sans juger du passé. 
C'est. 
S'égrènent les minutes longues et lourdes 
De la crucifixion de mon plexus. 
Personne sur les piloris qui m'entourent... 
 
Pourtant, je suis accompagné. 
Pas seul avec toi, non. 
Je perçois la main douce de la foule qui m'aime, 
Se relayant à mon front fiévreux et moite. 
Je sens le doigt câlin et bienveillant sur mes vides de l'instant. 
Tu vas, tu viens; 
Je m'abandonne sans me plaindre. 
 
Je t'accepte puisque c'est moi qui t'ai engendrée. 
Tu fais partie de moi. 
Pourrai-je un jour prétendre que je t'aime ? 
Je n'en suis pas là aujourd'hui. 
 
Sept coups tu as frappé ce jour-là. 
Sept coups, quand je pensais que le premier était le bon. 
Sept coups... 
Puis j'ai arrêté de compter. 
 
Tu sais, depuis le temps, 
Je me suis accoutumé à tes passages. 
Puis je t'ai combattue, ignorée, 
Perçue comme étrangère, vile, intruse. 
 
Avant de reconnaître, entériner la filiation. 
Enfin je t'accueille pour mieux t'écouter, 
Et te comprendre dans ce que tu es, 
Ta singularité et dans ta pertinence, 
Dans ton absurde et mauvaise habitude 
De frapper lorsque tu es déjà entrée. 
 
 
On se connaît bien tous les deux. 
Tu finis toujours par t'en aller. 
De lassitude sûrement pas. 
Rassurée d'avoir été entendue. 
Un peu, au moins. 
Rassérénée d'avoir perçu tes émoluments 
De ma douleur profonde.
© Eric Benoit