Monde imbécile
Ce jour-là, je ne sais pourquoi...
Il le fallait.
J'ai mis mes pas dans les vôtres.
Le serpent tranché et creusé par vos vies,
Hanté par vos bras orphelins,
Peuplé par vos voix étouffées,
M'a souri au soleil doux de Mai naissant.
Quelques décennies encore
Et l'humus fera oublier vos folies,
Plutôt celle de vos maîtres bouchers.
J'ai mis mes pas dans les vôtres
Pour sentir votre essence, bien présente,
Entendre vos cris de colère étouffée,
D'agonie esseulée.
J'ai marché sur vos ventres gonflés par la boue
Creusés par la faim.
J'ai remplacé, un siècle après,
La vermine qui courait sur vos corps.
Je n'ai pas oublié.
Je n'ai rien oublié.
J'y étais avec vous.
Vous êtes « moi » qui, encore, parcours ce chemin
Tortueux comme vos âmes,
Que le temps engloutit,
Comme vos âmes.
Le temps prend son temps.
Le temps a le temps.
Lentement. Haletant.
Patiemment, il répare,
Gomme, efface et pardonne
L'irréparable, l'indélébile,
L'indicible...
Il cicatrise les blessures infligées à la terre,
Fait renaître chaque âme au pied d'un charme gris,
Fait germer par milliers les jeunes hêtres
Aux feuilles transparentes
Comme vos vies.
Le sol est gris encore, noirci de fumée et de poudre,
Et lavé par vos pleurs.
Mais aujourd'hui, riez de me voir caresser
Vos desseins singuliers, vos morts inutiles,
Vos destins imbéciles.