Humblement, honteusement aussi, j'ai la sensation d'être loin de tout cela, que quelque chose m'échappe. Que j'y échappe...
Tout ce qui se passe, et en, et en dehors de moi.
Même si je ressens parfois dans ma chair la tension des familles entassées, des esseulés, des « laissés pour compte » d'ici et d'ailleurs, ce n'est rien, rien qui approche leur réalité.
Et cette impression de villégiature douce, calme, ensoleillée, lumineuse m'emporte ailleurs.
Seules la colère, la rage parfois me ramènent à ce qu'ils sont, à ce qu'ils font, à ce qui est. Quatre milliards d'humains confinés, enfermés dont une bonne part sans rien. « Enfermés » à qui on enlève aussi le droit de subvenir seulement à leur besoin quotidien en nourriture et moi je bouge, je cours, je marche, je cueille ail des ours et alliaire, jusqu'à échinococcose fatale, je regarde les fleurs s'épanouir et les fruits prochains se préparer !
Ma réalité n'est pas la leur. Juste une projection du réel sur mon plan chanceux et privilégié.
Mais ce serait un affront (le pire?) que de le bouder, le rejeter, le refuser sous couvert de culpabilité déplacée. C'est bien ici et là, dans ce contexte, que j'ai à faire, que je m'inscris et que j'ai un rôle ; un rôle que je pressens un peu plus chaque jour, que j'affirme dans chacun de mes gestes, chacun de mes mots et chacune de mes pensées, méditatives ou pas...
C'est dans la subtilité de ce qui fait chacun de mes jours, sans jugement excessif ni culpabilité stérile que « ce qui dépend de moi » prend tout son sens, se révèle et pointe hors de terre comme chacune de ces plantes, fleurs qui émergent avec force et douceur et humilité de la torpeur hivernale, seulement poussées par la force de Vie.
Les hommes se sont refroidis mais la terre du printemps est chaude ; elle engendre tout ce qui vit, tout ce qui est. Elle nous sermonne autant qu'elle nous aime.