Dessin (un peu) cynique mais « Et si c'était vrai... », pour paraphraser Jacques Brel.
Qu'avons-nous fait, que faisons-nous de nos Vieux ?
Je voudrais tellement partager cette interrogation positive de Brel « et si c'était vrai ? », vis à vis d'un profond changement de paradigme. Je voudrais bien.
Cette interrogation s'applique hélas à ce que je constate, entends et comprends de ce qui s'apparente à une stratégie.
Quelle stratégie ?
Revenons un peu en arrière...
D'abord la société qui, dans ses changements profonds, ne s'occupe plus de ses ainés comme elle le faisait. Au début du siècle dernier, le problème ne se posait évidemment pas ainsi. Chaque nouvelle génération prenait la place de la précédente (dans la maison familiale, dans la chambre, dans les responsabilités) non sans ménager une place honorable et respectueuse à la génération qui se retirait, dans un processus doux et naturel.
La société a changé. On peut l'accepter évidemment. On peut tout accepter. A la seule condition de faire les choses dignement et de ne pas, une nouvelle fois, laisser sur le bord du chemin ceux qui aujourd'hui sont considérés comme un poids, un déchet, un résidu « non productif ».
Qu'on ne vive plus avec nos Vieux, soit ! Mais que l'on puisse a minima les confier à des structures honnêtes et soucieuses de leur bien-être, en toute confiance. Simplement respecter ces êtres, qui ont été jeunes il y a si peu et sur les traces desquels nous marchons à toute vitesse.
Même ça, nous semblons l'avoir oublié, dans notre éternelle position d'immortels, intouchables, arrogants et dominants.
Et donc, nous avons confié nos Vieux à des établissements indignes, les fameux Ehpad.
Pour deux raisons, d'abord parce que très vite, ces personnes dépendantes ont été vues (comme tout le reste) comme un marché, attirant évidemment les investisseurs privés, fonds de pension et compagnies d'assurance, banques... Dans ce contexte, inutile de dire que le seul objectif était d'avoir des établissements rentables. Et quand on dit « rentables » pour un fonds de pensions, il faut que ça crache 8, 9, 10 % de résultat net chaque année. Alors on racle sur tout, la masse salariale d'abord, la nourriture, le confort... Et ça marche, évidemment. Les Vieux souffrent, mangent mal, dépérissent, sont remplacés par les suivants... Mais ça rapporte, beaucoup d'argent.
Résultat : 57% des Ehpad sont privés.
Côté public, les 43% restants, ce n'est évidemment pas mieux avec des gouvernements successifs appliquant à la lettre les directives et traités européens (horreur, des services publics !), diminuant drastiquement les budgets, cherchant là aussi la rentabilité, comme avec l'hôpital public. Et on supprime du personnel, et on minute les toilettes (6 minutes par Vieux) et on leur prépare de succulents repas « type » : une mauvaise soupe, une vache qui rit, une compote dégueulasse et un morceau de pain... Pour 2000 ou 3000 € par mois !
Voilà le tableau, avant le Covid !
C'est là que ça s'accélère !
Dès le début de la crise, on sait qu'on aura des morts, beaucoup. Parce que, avant tout, on ne pourra pas soigner tout le monde ; je ne reviens pas sur tout ce qu'on sait, l'état du monde hospitalier, le manque de lits, le manque de personnel, le manque de masques, le manque de respirateurs, le manque de tout !
Donc on fait des choix : on prendra en charge ceux qui ont le plus de chance. C'est ce qu'on fait avec ceux qui parviennent jusqu'à la porte de l'hôpital.
Mais pour les Ehpad, c'est pire, la directive du gouvernement du 28 mars concernant l'isolement des Ehpad précise que ces établissements ne dirigeront personne vers l'hôpital, qu'on sait déjà surchargé, hors d'haleine.
Pas la peine. On laisse mourir sur place !
C'est une directive officielle, donc un choix planifié.
Le monde médical que l'on veut bien interroger (parce qu'il porte bien la voix officielle) le confirme. La professeure Karine Lacombe (dont j'évoquais déjà le nom dans mon billet sur l’obscurantisme médical du 17/4) indique le 29 mars que le « ritrovil » est préconisé pour ces personnes, pour leur offrir une mort douce, parce que la réanimation serait « inconfortable » pour eux. On n'appelle pas ça l'euthanasie !
Au secours !
Et tout cela dans un contexte général où les Vieux, en même temps qu'ils sont considérés comme un marché, sont aussi considérés par la machine économique libérale comme des inutiles, improductifs. Macron parle explicitement du « stock de vieux », comme du stock de n'importe quelle matière première...
Alors s'ils sont improductifs, et coûteux (ben oui, le stock, c'est connu, a un coût élevé ; n'importe quel patron vous le dira), une opportunité d'en baisser drastiquement le nombre est inespérée. La voilà offerte à nous ! Le Covid !
Ça permettra même temporairement de remiser, à plus tard peut-être, la réforme des retraites.
A ce stade, peut-être vous dites-vous que si le stock de Vieux diminue, on va aussi pénaliser les fameuses sociétés privées qui se sont jetées sur ce marché. Mais non, de ce côté, rien à craindre puisque, comme le montre le dessin cynique de ce début d'article, il y en a encore plein sur la liste d'attente.
Voilà donc devenir stratégie et plan ce qui pouvait apparaitre comme un accident malencontreux dû l'apparition d'un maudit virus.
A côté de cela, on sait compter en France et jusqu'au 1er avril, on était soit-disant incapables de dénombrer le nombre de morts en Ehpad.
Le 1er avril, on compte et là, ça fait mal. 900 morts en Ehpad certains jours... On avait vu par ci par là, 30 morts d'un coup dans un seul établissement. Maintenant on fait les totaux !
Et face à ces chiffres honteux, qui pourra exonérer de leur responsabilité :
- la stratégie gouvernementale que je viens de décrire ?
- les propriétaires des établissements qui les ont dénué de tout moyen décent ?
Pas certains journaliste avisés, comme J. Quatremer (« libération ») qui ne « comprend pas comment on peut couler l'économie pour 200 000 morts ! » alors que les États-Unis, eux, ont délibérément fait le choix de sacrifier des vies pour sauver l'économie. On se serait étonné du contraire !
Et qui sont ces compagnies honteuses : le groupe Korian par exemple, en est un des principaux (actionnaires Predica etc...) ?
Et qu'annoncent-ils, sans vergogne et sans que personne ne dise quoi que ce soit : des dividendes records pour les actionnaires lors de la prochaine assemblée du 26 mai !!!
Ah si, on dit quelque chose ! : « le ministère de l'économie a appelé les grandes entreprises à de la modération dans le domaine ». Ah, ah, ah !
Mais l'indécence n'a pas de limite, hier c'était Vivendi qui distribuait ses bonus aux actionnaires, à la pelle. Quand nombre d'entreprises crèvent...
De l'espoir à l'indécence renouvelée !
Mais je vais terminer par une note positive, donnée par des sociétés qui ont encore un esprit vertueux.
« C'est qui le patron » distribue nombre de denrées alimentaires avec, pour principe de base, « la rémunération juste du producteur ». Ils ont commencé avec le lait et face aux succès, ont poursuivi avec le beurre, les pâtes et bientôt la quasi-totalité du caddie alimentaire.
Cette boite travaille avec des producteurs qui sont heureux, parce qu'ils sont rémunérés correctement.
Pendant le confinement, ses ventes se sont encore envolées et elle dégage un bénéfice énorme. Elle a donc décidé de créer un fonds de solidarité destiné aux petits commerces, artisans, producteurs qui eux, souffrent de cette crise.
Elle a collecté en quelques semaines 700 000 € qu'elle redistribue intégralement.
Voilà une belle note positive. Tout n'est pas perdu !
Alors pour que nos Vieux redeviennent un peu ce qu'ils étaient, restent ce qu'ils sont, des humains, des vivants, paraphrasons encore Jacques Brel et donnons leur ce qu'ils ont gagné, ce qu'on leur doit, ce qu'on nous doit : des conditions dignes, dans des établissements dignes, publics et équitables, dont nous pourrions être fiers !
« ils sentent le thym, le propre
La lavande et le verbe d'antan
...
Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde
...
Les vieux ne meurent pas
Ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent la main
.…
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent
Qui ronronne au salon
Qui dit oui qui dit non, qui leur dit "je t'attends"
Qui ronronne au salon
Qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend ».